La BRH
HistoriqueLa plus ancienne référence relative à l’établissement d’une banque en Haïti au lendemain de l’indépendance demeure à cette date une brève correspondance échangée au cours du mois de septembre 1825 entre un commerçant étranger, M. Nicolas M. Kane, et le secrétaire d’État Balthazar Inginac. Il s’agissait d’une proposition faite par M. George Clark au nom d’un groupe allemand, Hermann Hendrick et Co., d’établir une banque en Haïti.
En dépit des avantages que pouvait représenter la création d’une telle institution pour le pays qui avait été totalement dévasté au cours de 15 années de guerre d’indépendance, la proposition n’a pas abouti. Il faut surtout comprendre qu’à l’époque, toute forme de présence étrangère sur ce sol que venaient de conquérir d’anciens esclaves était inconcevable. Il n’en demeure pas moins qu’une banque pouvait faciliter le processus de mobilisation des ressources nécessaires au remboursement de l’indemnité importante que le gouvernement haïtien, en signant l’ordonnance de Charles X, s’était engagé à payer à la France en reconnaissance de l’Indépendance nationale.
En 1826, le président Jean-Pierre Boyer pensa à la création d’une institution financière qui devait émettre des billets de banque, permettant ainsi de retirer le numéraire de la circulation pour l’employer à amortir la dette. Tel fut l’objet de la loi du 26 avril 1826 qui créa la Banque d’Haïti dont les statuts ont été en partie inspirés de ceux de la Banque de France. Avec un capital de six millions de gourdes, ses principales activités devaient être l’escompte des titres de commerce à deux signatures, à 90 jours d’échéance et au taux de 6% maximum. Cette banque ne vit jamais le jour.
Le projet fut repris au moment de l’accord définitif avec la France sur les modalités de remboursement de la dette. Le 5 juillet 1838, la Chambre des Communes reçut du Président un nouveau projet de loi qui ne fut jamais voté jusqu’à la clôture de la session.
Vers le milieu du mois de septembre 1838, des particuliers, avec "l’assentiment du gouvernement", tentèrent vainement de créer une Banque Agricole, Industrielle et Commerciale. Celle-ci devait établir des succursales à Jérémie, aux Cayes, à Jacmel, à Santo Domingo, à St. Yague, à Porto-Plata, au Cap Haïtien et aux Gonaïves. (Il faut se rappeler que Boyer gouvernait l’île entière). Le capital était fixé à 500,000 gourdes divisé en 5,000 actions. Selon ses statuts, la banque pouvait commencer ses opérations dès que 1,000 actions étaient souscrites. Malheureusement, seulement 619 actions furent souscrites.
En 1859, sous le gouvernement du président Fabre Nicolas Geffrard, une nouvelle loi fut votée par le Corps Législatif à l’effet de créer une banque. Faute de moyens financiers, le projet demeura lettre morte.
Quinze ans plus tard, ce stade purement législatif allait être dépassé. Au mois d’octobre 1874, le gouvernement haïtien accordait par contrat notarié à un certain Lazarre, de nationalité américaine, une concession pour l’établissement de la Banque Nationale d’Haïti avec un capital social de trois millions de piastres, dans la proportion d’un tiers pour le gouvernement et de deux tiers pour le concessionnaire. La durée de la concession était de trente années à l’expiration desquelles l’entreprise deviendrait propriété de l’État haïtien.
La pose de la première pierre le 8 juin 1875 donna lieu à "d’imposantes cérémonies". Les travaux s’effectuèrent à une allure rapide et, le 1er septembre 1875, selon les termes du contrat, le local était prêt. Mais l’institution ne put ouvrir ses portes en raison d’un ajournement de trois mois sollicité par le concessionnaire en vue de lui permettre de réaliser certaines lettres de crédit dont il se disait porteur.
Quarante cinq jours lui furent accordés et l’ouverture de la banque fut renvoyée au 15 octobre. Peu de jours avant l’expiration du nouveau délai, M. Lazarre proposa d’effectuer son versement en traites plutôt qu’en espèces. Sa proposition naturellement fut rejetée. À la date fixée, le gouvernement déposa dans les chambres fortes de la banque 500,000 piastres, représentant la moitié de sa quote-part, et somma par acte d’huissier M. Lazarre de remplir ses engagements. Cette mise en demeure resta sans effet et, à la fin de la journée, un procès-verbal constatait la défaillance du concessionnaire; le contrat fut résilié. Le gouverment décida alors de s’adresser au public haïtien pour obtenir le complément de financement.
Invités à souscrire par le ministre Septimus Rameau, les principaux commerçants de la place se montrèrent réticents. Les officiels du gouvernement entreprirent alors de faire appel au patriotisme des Haïtiens de toutes les couches sociales en les invitant à transformer leur épargne en actions de la banque. Le Président de la République et les ministres donnèrent l’exemple en y consacrant un mois de leur traitement. Les parlementaires et les fonctionnaires furent portés à les imiter. Cependant, la révolution qui renversa le gouvernement de Michel Domingue emporta le projet de création de la banque dont les fonds et le mobilier furent pillés. Le local eut par la suite une toute autre destination.
Cette banque occupait une partie de l’emplacement actuel de la Cathédrale de Port-au-Prince. En 1898, le Général Badère fit don d’un terrain de sa propriété du Champ Vert (actuel Poste Marchand) pour l’érection d’une chapelle en l’honneur de Saint Antoine de Padoue. Le père Pouplard sollicita du Ministre de l’Intérieur d’alors, M. Tancrède Auguste, le vieil édifice. Sa demande fut agréée et, le 20 mars 1900, le Conseil des Secrétaires d’État l’autorisa à démolir la vieille Banque Domingue en vue d’en utiliser les matériaux pour l’érection de l’actuelle église de Saint Antoine à l’avenue Pouplard.
Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir du président Lysius Félicité Salomon Jeune pour voir le pays se doter d’une véritable institution bancaire.
En effet, le 30 juillet 1880, le ministre haïtien des Finances, Charles Laforesterie, signait à Paris un contrat accordant à la Société Générale de Crédit Industriel et Commercial la concession de la Banque Nationale d’Haïti. Selon les termes de ce contrat, la nouvelle banque jouissait du privilège exclusif d’émission de billets. Elle pouvait effectuer aussi toutes les opérations commerciales de banque et assurer le service de la trésorerie.
Dès que la Banque Nationale d’Haïti débuta ses opérations, le public manifesta une surprenante hostilité à son égard. Il lui était reproché de ne pas contribuer au démarrage économique auquel le pays s’attendait et qui tardait à se concrétiser. Ses activités se limitaient essentiellement à la spéculation sur le change et à des avances au gouvernement.
Le principal chef de file des adversaires de la banque était Frédéric Marcelin. Pendant une vingtaine d’années, il soutint que celle-ci devait faire du crédit à la production ou disparaître. En dépit de maints scandales et d’un procès reconnaissant la culpabilité de ses dirigeants dans la mauvaise gestion de la dette du gouvernement, l’institution conserva ses privilèges d’émission et de trésorière de l’État. Aucun moyen, pas même une opposition de la Chambre, n’arrivait à prendre d’assaut cette "bastille financière".
En septembre 1893, Frédéric Marcelin, alors ministre des Finances du gouvernement de Florvil Hyppolite, déposa à la Chambre un projet de loi autorisant la création d’une seconde banque, la Banque de Port-au-Prince. La concession était accordée à un groupe d’hommes d’affaires du pays qui s’engageaient à fournir un million de dollars, représentant la moitié du capital social, et à réserver à l’État une participation à la propriété, à la gestion et aux bénéfices de l’entreprise. Elle était chargée du service de la dette flottante, de la frappe de la monnaie métallique, de l’escompte des traites et des valeurs affectées au paiement de la dette extérieure, de la vente de timbres mobiles, etc. Elle pouvait exercer aussi le rôle de banque d’émission, mais en émettant des billets remboursables en or ayant un "cours facultatif".
La Banque Nationale d’Haïti protesta contre ce projet qui violait les termes de son contrat de concession. Les députés opposés à ce "système dualiste" votèrent un amendement étendant à toute banque qui, à l’avenir serait créée en Haïti, les privilèges concédés à la Banque de Port-au-Prince. À la suite de ce vote, le ministre effectua le retrait de son projet.
L’affaire de la consolidation, le retrait du service de la trésorerie, la réduction des taux d’intéret des emprunts intérieurs, les troubles politiques et, surtout, l’opposition absolue du président Nord Alexis contre les emprunts extérieurs, considérés comme une menace directe contre l’Indépendance nationale, avaient beaucoup affaibli la jeune institution. En octobre 1910, le contrat de concession fut résilié en faveur d’un consortium composé de Français, d’Allemands et d’Américains pour la création d’une nouvelle banque: la Banque Nationale de la République d’Haïti (BNRH).
Au début de l’année 1911, le gouvernement du président Antoine Simon signait avec M. Georges Neuba, ancien directeur de la Banque Nationale d’Haïti et représentant d’un groupe de capitalistes belges, un nouveau contrat pour la création de la Banque Agricole et Industrielle d’Haïti. Le contrat, déposé par devant les Chambres Législatives, ne fut jamais sanctionné jusqu’à l’arrivée au pouvoi Brr du gouvernement de Cincinnatus Leconte dont les exigences découragèrent les investisseurs.
La BNRH poursuivit ses opérations jusqu’en 1934, sous la direction partagée des Américains et des Haïtiens. En 1947, elle est devenue entièrement haïtienne, assurant tous les services financiers de l’État. L’établissement en Haïti, dans le courant des années 70, de plusieurs banques privées, à capitaux tant étrangers que domestiques, obligea la BNRH à prendre de nouvelles orientations. Elle fut remplacée en 1979 par deux institutions financières autonomes et indépendantes: la Banque Nationale de Crédit (BNC), remplissant les fonctions de banque commerciale, et la Banque de la République d’Haïti (BRH), jouant le rôle de banque centrale.
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