L’ajustement structurel comporte deux étapes : d’une part la stabilité macro-économique à court terme qui se traduit par la libéralisation des prix, l’austérité fiscale, la dévaluation et, d’autre part, les réformes structurelles qui, mises en œuvre simultanément ou parallèlement, consacrent le dépérissement de l’Etat, la libéralisation du commerce et du système bancaire, la privatisation des entreprises et sociétés d’Etat, la compression de l’emploi et le gel du recrutement à la fonction publique. Tout pays endetté qui sollicite des fonds du FMI et de la Banque mondiale doit appliquer ces mesures qui, en principe, lui permettent d’améliorer sa situation économique, d’être compétitif, d’attirer les investissements étrangers et de réduire son déficit public. Il faut savoir qu’aucun secteur n’échappe à la vigilance et au couperet des ajusteurs, pas même l’éducation, la santé, l’eau potable, le développement rural, l’industrie…..
1. LE GHANA Rawlings s'est transformé petit à petit en chef d'Etat pragmatique, cédant au libéralisme prôné par les institutions de Bretton Woods, pour devenir finalement le meilleur élève du FMI et de la Banque mondiale de la région. Il a su tenir compte de l'opinion publique. Ce fut le cas notamment pour l'instauration de la TVA, prévue depuis 1995, reportée maintes fois, puis appliquée en douceur à partir de décembre 1999. De plus, entouré de brillants techniciens et de ministres compétents, notamment aux finances, il a su discuter point par point les propositions du FMI et de la Banque mondiale, qui lui ont laissé une marge de manœuvre dans la conception et l'application des réformes. L'exemple le plus frappant est celui de la libéralisation de la filière cacao, dont le Ghana est le second exportateur mondial, avec 400 000 tonnes par an. Alors que la Côte d'Ivoire a dû accepter une libéralisation brutale, le Ghana a négocié un changement à petits pas garantissant aux planteurs un prix stable, le mettant à l'abri des fluctuations du marché. Le Ghana a privatisé sans heurt la commercialisation intérieure du produit et fournit un des cacaos les meilleurs du monde, surcoté sur le marché international en raison de sa qualité. Au rang des réussites les plus notables du régime, on note également la lutte contre la corruption, qui fait aujourd'hui de ce pays l'un des plus « propres » d'Afrique. Le gouvernement est parvenu à maîtriser l'inflation qui, de quelque 200 %, est aujourd'hui contenue à moins de 15 %. L'objectif pour l'an 2000 est de la ramener à 5% pour les deux prochaines années.
Mais les relatives bonnes performances du Ghana n'ont toujours pas tiré le pays de son extrême pauvreté. Lors de la dernière présidentielle, les bailleurs de fonds avaient d'ailleurs dénoncé des dérapages budgétaires, et ils ne cachent pas leurs inquiétudes pour l'an 2000.
Le Ghana subit un déficit commercial élevé en 2000, dû notamment à la chute des prix du cacao et de l’or, alors même que la facture pétrolière a atteint des sommets, inflation en hausse et érosion constante du cédi, la monnaie nationale, face au dollar (depuis novembre 98, la monnaie nationale est passée de 2345 cédis pour un dollar à 4500 en mai 2000). Force est de constater qu’après 13 années de programmes d’ajustement structurel et de réformes économiques négociés avec les institutions financières internationales, l’économie du Ghana n’a toujours pas décollé. Ainsi, malgré les efforts considérables de diversification de la production tournée vers l’exportation (meubles par exemple), ainsi que des mesures pour la transformation sur place d’une partie des matières premières, comme le cacao et le bois, le revenu des exportations est en baisse. En même temps, la libéralisation des importations a maintenu celles-ci à des niveaux trop élevé, d’où le déficit des comptes extérieurs qui ne cesse de se creuser depuis 1997. Le plus grave est la dépréciation du cédi, qui a perdu 40% de sa valeur en un an. La dévaluation de la monnaie rend le produits importés plus chers et donc moins accessibles aux consommateurs ghanéens. Ils sont cependant toujours plus prisés que les produits locaux. Pour décourager les importations de produits superflus, le gouvernement a introduit en mai une taxe spéciale de 20% ! Une mesure qui a suscité une vive protestation de l’Association des commerçants mais a été applaudi par les industriels ghanéens. Une aubaine pour leurs produits qui n’arrivent pas à concurrencer les importations sur le marché mondial. Le constat du Ministre du Commerce, Dan Abodakpi, est sévère : « La concurrence offensive des produits importés, ajoutée au penchant des Ghanéens pour les biens de consommation étrangers, est en train de saper les potentialités de notre économie ».
2. LE SENEGAL S’il est vrai que ce pays est aujourd’hui l’un des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine à créer le plus de richesse – depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, le PIB augmente de 5% par an en moyenne – et à avoir réussi le redressement de ses finances publiques – le déficit budgétaire ne dépasse pas 1.2% du PIB -, le Sénégal n’en demeure pas moins extrêmement pauvre. Au palmarès du développement humain (IDH), il occupe la 153ème place sur 174, après la Zambie (151ème) et Haïti (152ème).
Le Sénégal ne se veut pas uniquement « un modèle de démocratie et de stabilité » en Afrique noire, mais également un défenseur de « l’économie de marché ». Deux conditions nécessaires pour décrocher le tant recherché titre de « bon élève » de la communauté financière internationale. Entre 1960 et 1993, le Sénégal a reçu des montants plus de quatre fois supérieurs à l’aide moyenne par habitant accordée aux pays d’Afrique sub-saharienne. De 1981 à 1991, les transferts extérieurs nets auraient atteint 21000 FCFA par tête et par an, soit deux fois plus qu’en Côte d’Ivoire et trois fois plus qu’au Ghana. Entré en ajustement il y a plus de 20 ans (1979), le Sénégal ne semble pas près de sortir des cycles de rééchelonnement. Dakar vient d’obtenir (Mars 2000) une nouvelle Facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR), la troisième depuis la dévaluation du franc CFA, en appui au VIIème plan d’ajustement structurel (PAS) 1999-2002. Si le gouvernement ne peut se passer de concours extérieur qui représentent 60 % du budget général de l’Etat, les Sénégalais n’attendent rien de ces PAS. La NPI (Nouvelle politique industrielle) et la NPA (Nouvelle Politique Agricole) ont été des échecs (politiques mises en place par Diouf dès 1981, pour rompre avec l’import substitution).
En 1994, dix ans après le lancement de la NPA, le déficit de la filière arachidière s’est monté à 2 milliards de F CFA et la production est restée en deçà de l’objectif de 900 000 tonnes (la rente arachidière procurait l’essentiel des recettes de l’Etat dans les années 60 et 70). La NPA n’a pas non plus amélioré l’autosuffisance alimentaire. Les importations de riz, l’aliment de base au Sénégal, ont continué à progresser. Le décollage espéré de la production de paddy, la variété cultivée localement, n’a pas eu lieu.
Dans l’industrie, le bilan est également loin d’être positif. La NPI n’a pas changé fondamentalement la structure industrielle du pays. Outre que les subventions (8.5 milliards de F CFA entre 1981 et 1986) n’ont modifié ni la nature ni le volume des exportations, la libéralisation à été mise à profit par des sociétés pour importer et écouler sur place, le plus souvent via le marché parallèle, des produits qu’elles avaient toujours fabriqués. D’ou une explosion du secteur informelle qui représentait au début de la précédente décennie 30% du PIB et employait 60% de la population active. Selon la Banque mondiale, le nombre d’entreprises relevant de ce secteur opérant dans la seule agglomération de Dakar est passé de 7750 en 1980 à 20 000 en 1991 !
En voulant mener de front les PAS et des politiques économiques nationales, les gouvernements qui se sont succédé entre 1981 et 1993 n’ont fait que prolonger la crise. La responsabilité est partagée entre les autorités sénégalaises et les institutions internationales (celles-ci ont apporté leur soutien à des stratégies de développement qu’elles savaient condamné d’avance). Rappelons encore qu’au Sénégal, les 10% les plus riches se partagent 42% des revenus. Autant dire que les fruits de la croissance sont très mal répartis. Un cinquième de la population accapare 58% des richesses alors qu’un cinquième vit avec seulement 3% des revenus.
La population de Dakar, dont l’agglomération regroupe 2.5 millions d’habitants, augmente de 7% par an, auquel s’ajoute 4% supplémentaires de migrants. La pénurie de travail salarié y est criante. La dévaluation du F CFA a renchéri les prix des médicaments, produits alimentaires et vêtements importés. Le secteur informel n’est souvent qu’un cache misère : quelques 400 000 personnes vivraient avec moins de 75 F CFA par jour à Dakar ! L’agglomération compte 60 bidonvilles. La gestion des services publics (ramassage des ordures…) est dépassée, la population en surcharge accablant les infrastructures existantes, mais ne payant plus, faute de revenus, les taxes qui permettraient de les entretenir. Les inégalités se sont aggravées à l’encontre des ruraux. Dans l’enseignement, les réalisations mises en avant par le régime n’ont fait qu’accompagner l’augmentation de la population, sans parvenir à réduire les inégalités. Si près de 100% des enfants sont scolarisés en ville, ils sont toujours moins de 50% dans les zones rurales. Le taux d’analphabétisme des femmes dépasse toujours 70%. Dans son dernier rapport, le PNUD estime les dépenses publiques d’enseignement et de santé au Sénégal à 3.5% et 1.2% du PNB, respectivement, en 1996.
3. LE MALI Le taux de croissance de ce pays était d l’ordre de 6% en 1997 contre 2% en 1992. Mais la proportion de pauvres augmente au fur et à mesure que le Mali améliore ses performances macro-économiques. Selon le PNUD, le pourcentage des pauvres a augmenté de 28.8% entre 1992 et 1994. La dévaluation du franc CFA, survenue en Janvier 1994, vue sous un angle autre que la simple rationalité économique, a été pour les couches sociales vulnérables de l’Afrique francophone la parfaite illustration du déphasage entre leurs attentes et la logique néolibérale.
Selon le Comité d’annulation de la dette du Tiers-Monde, les pays africains ont remboursé 170 milliards de dollars pour le service de la dette (intérêts et capital). Au Mali, il constitue le premier poste de dépense budgétaire avant les charges salariales, et accaparerait 48% des recettes budgétaires ou 37% des exportations en 1994 ! !
Selon la CEA (Commission économique africaine), le ratio de la dette africaine, par rapport au PNB, est passé de 38% au début des années 80 à 101% en 1991 pour atteindre 108.2% en 1994, en raison de la stagnation des recettes d’exportation, mais aussi sous l’effet des opérations de rééchelonnement et de l’accumulation des arriérés.
Le Mali comme les autres pays africains sous ajustement sont dans une situation ou plus ils paient, plus ils s’appauvrissent : les 48 pays de la région ont accumulé des arriérés énormes, de l’ordre de 48 milliards de dollars en 1996.
Il apparaît qu’il n’existe pas de liens de cause à effet, entre ouverture au marché et croissance économique durable. « Une réduction du prix du coton de 10% par rapport à celui retenu dans le scénario (croissance réelle du PIB de 4.5% par an de 1998 à 2004 et de 4% par la suite et réduction du déficit extérieur) entraînerait une aggravation du déficit extérieur courant d’environ 1% par an sur l’ensemble de la période 1996-2015 » (Ministère de l’Economie et des Finances du Mali).
Rappelons encore qu’au Mali, près de 23% des enfants sont maigres par rapport à leur taille, tandis que 30% souffrent de malnutrition chronique. L’enquête démographique et de santé qui rend compte de la situation rapporte que, durant la période 1991-1996, sur 1000 naissances vivantes, 123 enfants sont décédés avant l’âge de 1 an et 131 avant d’avoir 5 ans. Le taux de scolarisation vient d’atteindre 46.7% tandis que le niveau de couverture des besoins en eau potable est de 50%, en électricité 8% et en soins de santé 30%.
4. LE ZIMBABWE De 1986 à 1991, ce pays a remboursé plus de 2.6 milliards de dollars à ses créanciers au titre du service de la dette (en chiffre brut, environ 1.2 millions de dollars par jour, soit environ 50 000 dollars par heure !). Ce pays était autosuffisant. Susan Georges et Fabrizio Sabelli rappellent sur la base des travaux de Colin Stoneman, spécialiste du Zimbabwe, que ce pays qui avait reçu, depuis son indépendance, 9 prêts de la Banque mondiale et 4 crédits de l’IDA d’un montant total de 649 milliards de dollars, n’avait pas besoin de l’ESAP ( Economic Strutural Ajustement Program), dont la traduction pour le peuple zimbabwéen est « Extreme Suffering for African People » ! !
Comme conséquences, le Zimbabwe importe maintenant « les denrées alimentaires, les infrastructures de la santé et de l’éducation naguère parmi les meilleures d’Afrique. Celles-ci se sont considérablement dégradées. Beaucoup de femmes n’ont plus les moyens d’accoucher à l’hôpital ; beaucoup d’enfants abandonnent l’école. Lorsque les familles ne peuvent plus assurer les frais de scolarité des enfants, elles sacrifient d’abord les filles »
CONCLUSIONSerait-on aujourd’hui face à ce que Samir Amin appelle « une croissance sans développement (ce que confirme Aminata D.Traoré, Ministre de la Culture et du Tourisme au Mali, auteur de « l’Etau »), c’est à dire une croissance engendrée et entretenue de l’extérieur sans que la structure économique mise en place permette d’envisager un passage automatique à l’étape ultérieure, celle d’un dynamisme autocentré et auto-entretenu ».
Alassane Ouattara à propos de l’ajustement structurel : « Dans un pays pauvre devrait-on demander à quelqu’un qui a faim de réduire encore le niveau de sa consommation déjà bas, ou devrait on lui donner le moyen d’accroître sa production ? » (1985).
Lorsque le FMI et la Banque Mondiale interviennent, c’est que l’économie va déjà mal. Or ils exigent avant tout autre chose l’annulation des subventions aux engrais (résultat : recul brutal de la production agricole), la suppression des subventions aux industries, la suppression des subventions aux produits alimentaires de base destinés aux citadins (résultat : les prix des denrées augmentent très fortement, exemple de l’Egypte et de la Tunisie), la réduction du nombre de fonctionnaires….Ces mesures, imposées par les FMI et la Banque Mondiale, ont être prises très rapidement, beaucoup trop rapidement. Elles ont entraîné la diminution brutale d’un certain nombre d’activités économiques et ont crée la récession.
Dans ces conditions, on peut se poser la question de savoir si les institutions financières internationales ont vraiment pour but de redresser les économies africaines. Car enfin, que se passe-t-il lorsque qu’un pays se trouve obligé de suivre les programmes mis en place par le FMI : il doit premièrement réduire les dépenses de l’Etat et deuxièmement, il doit exporter au maximum afin de faire entrer des devises pour le remboursement de la dette (certains pays y consacrent jusqu’à 70% du revenu des exportations). Or on peut aisément s’imaginer ce qui se passe lorsque 40 pays exportent tous en masse les mêmes produits. Cela aboutit fatalement à une baisse des cours et donc à une dégradation dramatique des termes de l’échange (les pays gagnent moins en exportant mais les produits importés sont toujours aussi chers voire plus chers).
Omar Bongo : "L’Afrique sans la France c’est comme une voiture sans chauffeur et la sans l’Afrique, c’est comme une voiture sans carburant". On pourrait extrapoler en disant que l’Afrique est actuellement dirigée de l’extérieur par l’intermédiaire des programmes d’ajustement structurel (qui ne laissent que très peu de marge de manœuvre aux dirigeants africains, comme nous l’avons vu).Cette situation de dépendance ne peut plus durer dans l’optique d’un développement durable du continent africain. Je pense que l’obstacle majeur au développement de l’Afrique demeure le poids de la dette car d’une part elle ne pourra jamais être remboursée et d’autre part elle place le continent dans une situation de dépendance totale, puisque pour avoir accès à de nouveaux emprunts, il faut se plier aux programmes d’ajustement structurel, qui, rappelons-le, appauvrit encore plus l’Afrique.
La suppression de la dette, qui pourrait être consentie, à mon avis, comme réparation des « crimes » perpétués contre l’Afrique pendant la période de l’esclavagisme, permettrait d’utiliser les revenus d’exportation pour des programmes de santé (on sait que le SIDA constitue un frein au développement), d’éducation, de modernisation du secteur agricole, d’industrialisation….
Contenant et contenus conçus et réalisés par Olivier Bain; tirés de l'oubli, toilettés et remis en ligne par Jean-Marc Liotier